1.11.2001. Hors sujet alimentaire pur (le but de ce site), je voudrais partager avec vous le texte d'une conversation radiophonique de mon cher (feu) oncle GEORGES PASSELECQ, sur un sujet essentiel et aujourd'hui négligé: l'émerveillement! Cette intervention me semble si appropriée à notre sujet d'une assiette dévoyée, automatique: on oublie de s'émerveiller de la nature
Ce cher érudit dépasse si finement, si allègrement toutes les écoles de pensée étriquées auxquelles nous ont habitués les pères de l'Eglise qu'il m'aurait poussée à me convertir. En famille, nous le surnommions "Jojo-la-Bible" parce que, moine à Maredsous, il était l'artisan de la traduction connue sous le nom de "Bible de Maredesous"... Dans les camps les plus durs en Allemagne, de 1939 à la fin de la guerre, il s'était promis s'il en sortait de redonner des outils aux chrétiens les moins instruits, dont il voyait autour de lui que beaucoup n'avaient pas intégré le discours biblique, à cause du langage abscons des bibles classiques.
Tiens, comme on se retrouve cher Jojo, dans la même volonté ;)
En gros et en travers, l'émerveillement de l'enfant ne serait-il pas le chemin pour se re-naturer (si vous êtes ici, c'est probablement que cela correspond à votre recherche, non?).
Il rejoint ici paradoxalement un gnostique comme Cioran « La science est l’escamotage de la sagesse au nom de la connaissance du monde » - source Entretiens (avec Luis Jorge Jalfen, 1982). Et une animiste comme moi qui pense que la science actuelle, aveugle, nous aveugle à son tour. "La" science n'est pas "la" seule réponse.
Bonne délectation!
« JL » journaliste dont je nai pas le nom, pardon ; « GP » Georges Passelecq
JL : Jai le plaisir daccueillir ce mercredi soir Georges Passelecq. Vous êtes moine à Maredsous. Est-ce quil est correct de vous présenter comme cela. Vous êtes avant tout un homme, ou vous êtes avant tout un moine. Dites-moi
GP : Un moine, oui, cest la dénomination habituelle.
JL : Cest tout à fait prioritaire ?
GP : Ah oui, cest ma vocation. Il y a tout de même un grand nombre dannées que je vis au monastère, par conséquent cest comme cela que je dois apparaître en public, je nai pas à cacher quoi que ce soit. Jabats mes cartes, si vous voulez.
JL : La vie en abbaye, de lextérieur, peut sembler à beaucoup de personnes une vie coupée du cours du monde. Ce nest pas le cas du tout.
GP : Non, non, ça, cétait bon pour le Moyen âge. Mais on a fortement évolué. Et avec le monde contemporain, le contact avec le monde est régulier, habituel et dailleurs bienvenu.
JL : Donc, pour vous, Maredsous nest pas lespace dune retraite systématique.
GP : Non, mais cest un foyer de vie intellectuelle, spirituelle, religieuse, voire mystique, ça dépend de chacun, mais qui entretient ce quon appelle la vie intérieure.
JL : La vie intellectuelle est votre souci principal, votre verbe principal, votre mobile principal ?
GP : Toute ma carrière. Depuis 1946 je suis dans les études bibliques de manière complète, et la prédication, par conséquent des recherches dordre dhistoire religieuse, ou bien de culture religieuse et détudes bibliques particulières.
JL : Vous avez réalisé notamment une traduction de la Bible.
GP : Cest exact. Entre 1946, mon retour dAllemagne, jusque1951, jai traduit la totalité de la Bible, depuis lhébreu, le grec, le latin et qui a paru à ce moment-là sous le nom de Bible de Maredsous.
JL : Quelles intentions particulières nourrissiez-vous dans ce travail de traduction ?
GP : Lintention principale cest que la Bible soit accessible à des personnes non cultivées sur le plan supérieur. Par conséquent, lusage dun vocabulaire et dun style qui ne soient ni pédants ni scientifques.
JL : Est-ce que vous avez eu des échos, du courrier, par exemple, de lecteurs, qui étaient surpris eux-mêmes de découvrir une lecture possible de la Bible ?
GP : à lépoque, mais ça fait 1951, nous sommes en 1993. Quarante deux ans on nécrit plus après 42 ans à un auteur et à un traducteur.
JL : Je pensais à lépoque, évidemment.
GP : Oui, à lépoque. Cela a fait un peu de sensation à lépoque, surtout que lédition sétait vendue à un prix qui battait la concurrence, si vous voulez, parce que volontairement cétait une intention de mettre à la disposition le texte sacré.
JL : Georges Passelecq, jaimerais bien que lon passe par la question du vocabulaire. Je sais que vous y tenez aussi. Je sais que vous tenez à ce que lon distingue le terme démerveillement dautres synonymes ou dautres termes que lon aurait tendance à utiliser comme synonymes et auquel vous vous accordez une valeur particulière. Je sais aussi que vous mavez demandé que, si musique il y avait dans cette heure que nous partageons, elle soit une musique choisie et quelle ait un rapport avec lémerveillement. Puis-je vous demander de présenter cette musique que vous avez choisi de nous faire écouter en tout début démission ?
GP : Ce nest pas un choix de priorité musicale ou desthétique particulière. Jai choisi une phrase ou plutôt le thème majeur de lAdagio du Concerto numéro 2 de Rachmaninoff, étant donné quil est intériorisé, quil est discret. Cest la seule raison. Et jai parlé aussi de musique en disant que je naimerais pas que la conversation soit interrompue parce que je ne vois pas le rapport entre une philosophie du thème que vous mavez présenté, cest-à-direlémerveillement, avec des musique particulières. Cest un autre sujet, cela peut faire lobjet dune autre séance. Mais alors on choisirait chaque fois un thème musical approprié à ce que lon discute.
MUSIQUE
JL : Nous sommes ensemble (...) pour tenter de cerner une notion bien particulière qui est celle de lémerveillement. Lémerveillement, cest un mot que lon pourrait prendre pour une sensation, pour une émotion intellectuelle, pour une émotion esthétique. Et pour vous, Georges Passelecq, lémerveillement se distingue de certains de ces synonymes apparents. Pourquoi ? à quoi vous fait penser ce thème de lémerveillement ?
GP : Nous nous lançons maintenant dans ce quon pourrait appeler une discussion philosophique, un dialogue. Je vais dailleurs vous faire une petite réflexion psychologique immédiate pour me justifier. Je suis effarouché. Effarouché et intimidé. Autant jaimerais ou jaime discuter avec quelquun face à face un problème, des problèmes, même des choses délicates ou intimes, autant je suis rétif par tempérament aux enregistrements parce quon nest pas deux : on est trois. Et je déteste le trou. Le trou, cest lentonnoir dans lequel on est obligé de jeter sa pensée. Pour moi cest une image de lirrécupérable. Il ny a plus rien à faire et ça part sur les ondes. Alors, je suis intimidé, je préfère le dire tout de suite.
Cela dit, quand on prend le risque de discuter un sujet pareil cest-à-dire lémerveillement, on ne peut pas faire léconomie dune mise au point terminologique. Jentends : il faut que nous soyons daccord sur le sens des mots. émerveillement implique pour moi merveille et merveilleux. Et dautre part « être émerveillé » cest autre chose quêtre dans ladmiration. Parlez-moi démerveillement et je vois trotter sur lhorizon de ma plage de mémoire toute une sarabande de concepts, didées et dimages qui me font penser à ces petits bonshommes du peintre Folon que lon a vus longtemps sur lécran de la télévision en fin démissions en France. Alors, les voici : admirable, étonnant, étourdissant, extraordinaire, charmant, éblouissant, mirobolant, prodigieux, mirifique, surprise, stupéfaction, enthousiasme, ravissement, exaltation, enchantement, féerique, magique, fabuleux, fantastique, fascination, sublime. Voilà.
De même, à partir de merveille : les jardins suspendus de Babylone, les Pyramides, le Colosse de Rhodes, le Phare dAlexandrie, le Zeus de Phydias.
Et encore, maintenant, des expressions : « Pic de la Mirandole, la merveille de son siècle » , « promettre monts et merveilles », « Monsieur, cet armagnac est une véritable merveille », « Il parle français à merveille », « Alice au Pays des merveilles ». Vous voyez, cest copieux.
Jai consulté Littré. « Merveille : ce qui cause une intense admiration, qui étonne et séduit par des qualités éminentes, exceptionnelles, hors des normes de la nature »...
et Descartes : émerveillement : une surprise qui provoque la recherche permanente et qui devient un sentiment de joie devant une réalité exceptionnellement (voilà le mot) riche.
Mais alors, il importe de distinguer lémerveillement de ladmiration. Et je procède par des exemples. Jadmire un produit de lart technique : lhorloge de la cathédrale de Strasbourg. Jadmire les prouesses dun acrobate. Jadmire telle toile dun maître italien de la peinture en trompe lil. Jadmire lart de la fugue ou loffrande musicale de Jean-Sébastien Bach. Mais par contre, je reste muet de stupéfaction devant le ciel étoilé, émerveillé par les pommiers en fleurs de Vincent Van Gogh, par la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach ou par le Temple de Karnak.
La différence, cest celle quil y a entre la prose et la poésie. Cest un supplément dâme.
Cela dit, il semble que si on parle démerveillement, il faut nécessairement, présumer lexistence dun objet, dune personne, dun événement sur le/ou la-quelle il se fixe. Je propose que ce soit le monde. Lunivers peut être regardé, considéré ou contemplé selon diverses catégories parmi lesquelles je sélectionne le danger, le charme, le mystère, le merveilleux et le sublime.
Dautre part je confondrais volontiers univers et nature et dans celle-ci je distinguerais trois aspects qui forcent lattention de lhomme. Cest la puissance, la beauté et la majesté.
JL : Des notions qui ont en commun quelque chose comme un dépassement ?
GP : Oui, quelque chose qui dépasse. Je crois que nous allons y venir par la force des choses et le fil du raisonnement. Est-il question de prendre contact avec le monde, on peut ou bien lexploiter, ou bien en jouir, ou bien le craindre. Et où se situe lémerveillement ? Permettez que je raisonne le problème et jaimerais commencer par son aspect négatif. On considère trop souvent que le principal mérite de la nature est son utilité. En conséquence, lutilisation des ressources de la nature et du monde constituerait la principale raison dêtre de lactivité humaine. Cest ce que suggère la désignation anthropologique : « homo faber », cest-à-dire un animal qui fabrique des instruments, à qui lunivers apparaît comme un gigantesque étui à outils, dont la seule raison dêtre est de satisfaire à ses besoins. Si bien que, si les anciens grecs étudiaient pour savoir, si les hébreux étudiaient pour adorer, le homo faber étudie pour utiliser. Il semble alors quil ne puisse plus justifier les valeurs autrement quen fonction de lefficacité. Connaissance signifie réussite. Lhomme cherche un degré maximum de confort en échange dune dépense minimum dénergie. Dans ces conditions tout peut être réduit à des chiffres. Et alors règne sa majesté lordinateur.
JL : (riant) ....que visiblement vous appréciez !
GP : oui et non
JL : ... que vous admirez, qui ne vous émerveille pas, par contre.
GP : Que jadmire. Je ne suis pas émerveillé, justement. Lhomme a foi dans les statistiques que lordinateur produit et il déteste lidée de mystère qui bien entendu échappe à lordinateur. cest-à-dire que celui-ci est un esclave parfaitement obéissant mais inexorablement bête. Bête comme un boulet de canon. Depuis le triomphe qua provoqué linvention de lhypothèse Big Bang par les astrophysiciens lhomme simagine pouvoir bientôt expliquer le fond de tous les mystères. Naïf. Il oublie que nous sommes entourés de toutes parts par des choses que nous pouvons peut-être percevoir - et encore ! - mais en tout cas ne pas comprendre. Pourquoi ? Parce que la raison est un mystère pour elle-même. Les réalisations de lintelligence dans le domaine scientifique sont éblouissantes au point que lhomme va bientôt se croire le maître de la terre. Or il demeure aveugle aux vraies valeurs. Et malgré tout cela langoisse plane dans lhumanité, laquelle humanité ressemble à la population dune basse cour où le coq pousse le cri dalarme à lapproche de lépervier. Et ainsi lhomme a peur de lhomme. Sa propre puissance le terrifie. Notre civilisation sest montrée incapable dendiguer la marée de la cruauté et de la violence. Dans la conscience humaine, les valeurs se confondent avec les besoins. Si le monde nest quune simple occasion de puissance vers laquelle tous se ruent avec férocité, alors la seule divinité à laquelle nous puissions prétendre ne saurait être que le veau dor. Si nous tenons le monde pour une boîte à outils, la nature devient incapable de nous montrer autre chose quelle même. Car cest seulement dans la mesure où nous ressentons son mystère et sa majesté quelle nous invite à regarder au-delà delle même. Il est donc urgent que lon engage la conscience de la majesté et du sublime à retrouver sa place dans lesprit humain.
Nos écoles. Nos écoles enseignent lexploitation de la réalité sous son aspect de puissance. On y essaie parfois de développer le sens de la beauté. Mais il nexiste aucune éducation au sublime. Nous enseignons aux enfants comment on mesure et comment on pèse; et nous omettons de leur expliquer comment on admire et comment on sémerveille. Le sens du sublime, qui est le signe de la grandeur de lâme humaine, est un don ... rare, précieux, quil convient de cultiver. Sans lui, le monde reste plat et vide. Et permettez que je prenne mon exemple dans la Bible. Le thème majeur de cette poésie nest pas le charme de la nature, mais sa majesté. Et ce que cette poésie sapplique à enseigner et à célébrer cest le caractère sublime du monde.
JL : Comment est-ce quà votre avis on peut inviter un enfant - puisque vous parlez déducation au sublime, dinitiation - à votre avis par quel moyen peut-on inviter à ouvrir le bon il, à tendre la bonne oreille et à ouvrir peut être le cur aussi ?
GP Mon métier nest pas celui de pédagogue. Jai perdu contact avec la jeunesse depuis longtemps bien que jai été professeur pendant quelques années (latin et grec et français). Mais là je crois quil y a moyen de le faire et cest une longue éducation qui doit se faire sans que lenfant sen doute. Cest par lattitude du professeur, cest par lexpression de sa propre réaction à la réalité que passe le message. Ce nest pas un message quon peut exprimer dans un manuel.
JL : Vous avez sans doute une conception très noble du professeur ou de lhumain en général ?
GP : Ah oui, bien sûr. Oui, oui, oui. Cest une des plus nobles professions, dailleurs. Les grands ont été des enseignants. Bouddha a été un enseignant, Jésus Christ a été un enseignant, Confucius a été un enseignant, par exemple. Mais je reviens maintenant si vous permettez à la notion de sublime qui a été soulevée il y a quelques instants. Je la conçois comme une forme de beauté, beauté qui est et spéciale et mystérieuse et laquelle implique les notions de grandeur, dimmensité, dobscurité, de majesté, voire de menace et de danger. Devant cette beauté, on ressent une sorte de stupéfaction, deffroi, et précisément démerveillement. Cela sapplique aux produits du génie, génie humain sentend, à la conduite morale, à luvre dart tout à fait comme à la nature elle-même telle quelle est. Un auteur latin tardif, un certain Longin, considérant que lhomme a le pouvoir de répondre à ce sublime, en déduit la grandeur (cest une citation) spirituelle de lâme humaine. Et il ajoute dans la même foulée que la portée de la pénétration de lentendement humain outrepasse la dimension de lunivers ; et que lesprit de lhomme fait craquer les bornes du monde matériel. Et sil fallait citer le passage complet, il ajoute encore : « la nature ne nous pousse pas à admirer un petit ruisseau qui fait tourner une roue mais le Nil, le Danube ou le Rhin de même que le soleil et les étoiles nous étonnent et lEtna en éruption force notre admiration. » fin de citation.
Cest de bonne philosophie. Mais encore un autre, Kant, tente une définition. « Est sublime », écrit-il, « ce qui est grand au delà de toute compréhension, ce en regard de quoi tout le reste est petit - et spécifiquement les aspects de la nature dont la contemplation nous dirige précisément vers lidée de linfini ».
Mais ces définitions ne me satisfont pas. Le sublime ne soppose pas à la beauté, il ne doit pas davantage être considéré comme une catégorie exclusivement esthétique. Non. Si lexpérience de sublime peut être ressentie sous langle de la beauté, elle peut lêtre aussi dans les approches de la vérité et dans les actes de pure bonté. Et dans ces cas-là, le sublime, nous le voyons, mais nous sommes incapables de lappréhender.
JL : Il acquiert une valeur éthique, dans ce cas ?
GP : Exactement. Il est des choses qui dans leur silence font allusion à une signification qui les dépasse. Cette allusion, cet appel discret constitue, me semble-t-il, le sublime. Il est en même temps alors la justification ultime de la réalité. Il est ce que nos mots, nos concepts, nos catégories mentales natteindront jamais, que ce soit dans le domaine de lart, de la pensée ou précisément de la conduite généreuse (et nous sommes dans léthique). Il est ce dont se nourrissent les âmes des artistes, les âmes des penseurs et les âmes des saints. Cest ainsi quil nest pas nécessairement lié à lénorme et aux dimensions écrasantes. Il peut être senti à propos de lil dun insecte ou dune seule goutte deau. Un myosotis, un flocon de neige peuvent faire naître en nous le sens du merveilleux qui est précisément notre réponse au sublime.
JL : Est ce que vous pensez que le sublime est une notion accessible à tous ? Jaurais envie de dire : est-ce que léthique est dun accès démocratique ? Ou encore une fois est-ce quil faut que cela passe par un enseignement, par une initiation ; et donc, finalement, on va se retrouver avec un petit groupe dhommes qui partageront les mêmes aspirations...
GP : Non, non. Le sublime est lié à la candeur. Mais jen dirai un mot tout à lheure, à propos des enfants, si nous avons le temps. Parce que je crois que ce nest pas une catégorie intellectuelle, cest une catégorie humaine. Nous sommes dans la parole de lEvangile : « Je te bénis, père, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux savants et que tu les as révélées aux petits ». Je crois que cest la réponse à votre question.
JL : Est-ce que vous pensez que la foi participe de cet appel du sublime, de cette interpellation du sublime chez lhomme ?
GP : Oui, oui, évidemment. Indiscutablement. Et cela dit, il faut encore aller plus loin. Le sublime nest pas un aspect ultime de la réalité, cest-à-dire une qualité significative par elle-même. Il peut encore représenter quelque chose de plus grand que lui-même. Il peut être lié avec quelque chose qui le dépasse et que les yeux ne pourront jamais voir. Je dirais que le sublime nest en soi ni une chose ni une qualité. Il est un événement, une merveille, un acte, voire un drame. Car, invisiblement, ce qui paraît parfaitement naturel, tel la germination dune plante, est tout simplement merveilleux. Cest pourquoi la vraie réponse au sublime ce nest pas seulement un (...... coupure fin de cassette, au lecteur de compléter la phrase).
(...) la platitude et lindifférence au sublime, donc la grossièreté qui consiste à tenir les choses pour établies. Or, dans lunivers, il nest rien qui arrive de soi. Lhomme moderne, le pauvre, est affecté dune tendance à croire dune part que tout peut être expliqué, que la réalité est somme toute une affaire assez simple où il suffit de mettre un peu dordre pour y voir clair ; et dautre part que le monde contient en lui même sa propre explication et que toute les énigmes peuvent être résolues. Alors il ny a plus démerveillement. Au mieux il ny a plus que le simple effet de la nouveauté sur des esprits indifférents. Je parle de cette tournure desprit maintenant qui croit quon pourra tout expliquer. En tout cas je crois quelles se rencontrent plus souvent et davantage dans des ouvrages de vulgarisation, donc de deuxième classe, que parmi les uvres des vrais savants. Jentends des savants créateurs. Je crois que Newton, Pascal, Pasteur, Einstein se sont plutôt considérés comme des enfants qui en folâtrant ont ramassé quelques beaux coquillages sur la grève dun océan dincompréhensibilité. Jai dit « des enfants ». à noter aussi que, de manière générale, beaucoup de gens ne découvrent pas volontiers ni pas facilement la grandeur et le merveilleux dans les choses qui leurs sont familières. Et pourtant il y a des lois qui règlent le cours des événements naturels. Mais le fin du fin en matière démerveillement se trouve précisément dans une surprise chaque fois et perpétuellement renouvelée devant le fait que justement il existe des événements. On cite, mais je ne lai pas vérifié, Platon déclarant que cest par lémerveillement que débute la philosophie. Un peu comme lhomme qui dit : « tiens, pas possible, comment se fait-il que ? ». Cest le propre de lhomme à lesprit borné de ne pas remarquer que lexistence présente des mystères. Et cest comme ça que létonnement est le prélude obligé du connaître. Mais dans ces conditions lémerveillement ne serait-il quune simple forme détonnement ? Et je dis non. Non, parce que pour lesprit qui est inspiré lémerveillement est une forme de pensée et non pas simplement une réaction. Il persiste quand la connaissance est acquise. Dans le monde il ny a pas de réponse explicative qui puisse prendre la place de lémerveillement. Toutefois, dans le marasme de la mentalité contemporaine, le sens du merveilleux recule. Ce déclin est un symptôme alarmant. Car le bonheur ne commence quau moment où lon comprend quune vie sans émerveillement ne vaut pas la peine dêtre vécue.
En réalité cest en partie dans lémerveillement que commence la conscience du divin. Lobstacle majeur au développement de cette conscience, cest ladaptation, cest lhabitude, cest la routine à tout ce qui est conventionnel et à toute espèce de cliché. Lémerveillement implique aussi la conscience dun état dinadaptation de la personne ou de lesprit aux mots et aux notions - ce qui est la condition préalable dune prise de conscience authentique de la réalité dans son ensemble. Lémerveillement porte ainsi non seulement sur ce que nous voyons mais sur lacte même de voir ainsi que sur la personne elle-même qui sémerveille de pouvoir voir. Dailleurs lacte même de la pensée déjoue la pensée. Le mystère règne dans la perception, dans lexplication, dans le raisonnement. Et on aura beau citer le célèbre « Connais-toi toi-même » du Temple dApollon à Delphes, il ne pourra jamais expliquer la grâce qui est faite à lhomme de savoir traiter le concret par la magie de labstraction. Nous ne possédons ni lobjet de la pensée ni la pensée elle-même. Nous ne faisons que pratiquer une sorte dalchimie subtile qui associe lune et lautre. Le fait le plus incompréhensible, cest le fait même dêtre capable de comprendre. Ce qui est un comble dans létat démerveillement, cest le fait quun minimum de perception représente en lui même un maximum de lénigme. Par son émerveillement, lhomme rencontre alors le sublime dans lespace et dans le temps, dans la nature, dans lhistoire, non seulement dans lexceptionnel , mais aussi dans les lieux communs de la vie. Son être même le remplit de stupéfaction. Mais alors un piège serait à éviter : le sens du mystérieux et de la transcendance ne devrait surtout pas devenir une sorte de fourre-tout, un mol oreiller sur lequel se prélasseraient les intelligences paresseuses. Il ne doit pas se substituer à la réflexion et à lanalyse, lorsque lanalyse est possible. Il ne peut pas étouffer le doute lorsque le doute est légitime. Pourtant si lhomme prétend rester fidèle à sa dignité, il doit conserver et même entretenir présent à son esprit le sens du merveilleux cest-à-dire de ce quil y a de grand, dexcellent, de beau, de ce qui fait que la nature, un objet, une uvre, une personne, un événement peuvent enlever, ravir, transporter, et exalter lâme, lesprit et le cur. Voilà le sens du merveilleux, cest la porte qui donne accès à lineffable.
JL : à lineffable ! Jaurais tendance à dire quil faut absolument sarrêter sur ce mot là, on ne peut pas trouver plus beau mot de la fin. Puisque je ne vais pas vous demander dexplication de cet ineffable
GP : Précisément. Si ineffable il y a, cest quon ne peut pas le dire !
JL : Par contre, je voulais quand même vous demander si la notion détat de grâce était une notion quon pourrait rapprocher de certains étapes de votre raisonnement dans laccès au sublime et de louverture de lesprit et du cur humain au sublime.
GP : écoutez, je vais dabord vous dire une chose, cest que létat de grâce, ce nest pas létat de grâce théologique. Létat de grâce cest létat où quelquun a reçu quelque chose. Cest ça que jai voulu dire. Alors, létat de grâce appartient aussi à ce domaine. Cest encore de lineffable, ça ne se dit pas, justement alors il ne faut pas me demander dessayer de dire justement les choses quon ne peut plus dire, faute de mots, faute de concepts.
JL : Est-ce que vous pensez quun consensus est possible sur lineffable ?
GP : Oui. Je ne crois pas que des opinions philosophiques, ou des opinions scientifiques, ou des opinions esthétiques ou de quelque nature que ce soit, puissent entamer de genre de chose. Cest pour ça que jai finalement accepté votre proposition : cest que le thème me plaisait. Je crois quon pourrait en faire même une charnière de la pensée, précisément par létat de grâce . Dailleurs tout ce que jai dit ici nest pas entièrement de moi. Je voudrais pouvoir rendre hommage à quelquun que très peu de gens connaissent, je crois, ici. Cest un personnage tout particulier, qui est mort en 1974 ou 1975, et qui sappelle Abraham Joshua Eschel, le rabin Eschel - que jai connu à New York après avoir traduit en français une de ses uvres philosophiques. Cest un homme qui a fait sur moi une très, très grande impression et qui probablement a exercé une influence. Il se targuait dexprimer le judaïsme en termes de philosophie religieuse. Ce nest pas le moment ici de décrire toutes ses idées mais lémerveillement est aussi une des charnières de sa propre pensée pour laccès au divin. Je ne sais pas si je serais daccord de manière définitive sur la certitude que lémerveillement amène à la notion du divin, mais en tout cas je ne vois pas de manière délever lesprit de lhomme à un tel niveau que de passer par ce genre dadmiration, de candeur - chez un homme qui avait à ce moment-là certainement 75 ans - devant les choses. Pour lui tout parlait . Je ne dirais pas que cela ressemble au roman pseudo-classique dEdouard Estonnier dil y a environ 65 ou 70 ans, qui était intitulé »Les choses parlent », mais ce nest tout de même pas tellement éloigné. Si les choses parlent, cest quelles ont quelque chose à dire. Ce qui est à dire parfois dépasse la possibilité de parole. Cest de lui que jai hérité dune sensibilité beaucoup plus grande à la face (voilà) la face cachée des choses, qui toutes (la voix insiste) en ont une, absolument, à condition de savoir la voir.
JL : Vous parliez de candeur tout à lheure à propos de ce rabin Eschel qui vous a inspiré, qui vous a influencé dans le cheminement de votre pensée. Candeur, est-ce quil faut lentendre au sens dun regard denfant. Pour vous même, avez-vous limpression dêtre vigilant et dessayer de préserver ce regard ?
GP : Je pourrais rejoindre en même temps une conclusion à notre entretien ou même un souhait à exprimer. Cest que précisément lexemple du rabin Heschel était pour moi tel que tout parlait par ses yeux. Il avait des yeux denfant. Quand il parlait de choses comme celles-ci, son regard brillait. Par conséquent, il y a quelque chose qui sort et en même temps quelque chose qui entre. Je crois que rien ne vaut laspect de lenfant, du petit enfant qui est extasié devant une pâquerette. Justement, cette perception-là, cest la perception que nous, chrétiens, nous pouvons accepter, ou plutôt dont nous pouvons accepter l'expression par le Seigneur Jésus Christ lorsquil dit: « Vous nobtiendrez pas le Royaume si vous ne vous faites pas comme un enfant, si vous ne le regardez pas comme un enfant » cest-à-dire dans un regard dune pureté telle que rien détranger ne vient obscurcir léclat ou léblouissement.
JL : Pourtant jai limpression que la socialisation inévitable de lenfant doit très tôt entamer cette pureté originelle.
GP : à mon avis, le fin du fin de léducation consisterait justement à empêcher que lenfant ne perde cette naïveté fondamentale, la naïveté pas dans le sens justement dinfantilisme mais la candeur - je préfère le mot candeur au mot naïf du regard qui cherche les choses telles quelles sont ; en plate expression, sans chercher midi à quatorze heures.
JL : Vous vous percevez comme un être réaliste ou idéaliste, Georges Passelecq, et est-ce contradictoire ? Peut-on tout à fait assumer les deux accès intellectuels, les deux aspirations ?
GP Je me perçois comme étant un peu trop rationaliste. On me le reproche dailleurs, on a le droit, et cest peut être exact. Justement, la difficulté, cest de tâcher de maintenir en combinaison ces deux aspects qui apparaissent contradictoires : le raisonnement et la contemplation, si vous voulez.
JL : Je vous remercie, Georges Passelecq, davoir accepté de passer cette heure avec nous dans « Si on courait sur la lune ». Je vous remercie aussi de nous avoir, jespère, ouvert certains itinéraires, certains chemins à creuser encore ou à ré-écouter, à approfondir. Je vous souhaite un bon retour à labbaye de Maredsous. Décidément cest votre espace vital.
GP : Bien sûr, et je vous remercie aussi de votre invitation, de votre amabilité, en dépit de la torture du microphone (rires).
JL : Merci davoir fait cette concession.
Entrevue avec le Père Georges Passelecq dans le cadre de lémission
RTBF
« Et si nous courions sur la lune
», juin 1993.
« JL » journaliste dont je nai pas le nom, pardon ; « GP » Georges Passelecq
JL : Jai le plaisir daccueillir ce mercredi soir Georges Passelecq. Vous êtes moine à Maredsous. Est-ce quil est correct de vous présenter comme cela. Vous êtes avant tout un homme, ou vous êtes avant tout un moine. Dites-moi
GP : Un moine, oui, cest la dénomination habituelle.
JL : Cest tout à fait prioritaire ?
GP : Ah oui, cest ma vocation. Il y a tout de même un grand nombre dannées que je vis au monastère, par conséquent cest comme cela que je dois apparaître en public, je nai pas à cacher quoi que ce soit. Jabats mes cartes, si vous voulez.
JL : La vie en abbaye, de lextérieur, peut sembler à beaucoup de personnes une vie coupée du cours du monde. Ce nest pas le cas du tout.
GP : Non, non, ça, cétait bon pour le Moyen âge. Mais on a fortement évolué. Et avec le monde contemporain, le contact avec le monde est régulier, habituel et dailleurs bienvenu.
JL : Donc, pour vous, Maredsous nest pas lespace dune retraite systématique.
GP : Non, mais cest un foyer de vie intellectuelle, spirituelle, religieuse, voire mystique, ça dépend de chacun, mais qui entretient ce quon appelle la vie intérieure.
JL : La vie intellectuelle est votre souci principal, votre verbe principal, votre mobile principal ?
GP : Toute ma carrière. Depuis 1946 je suis dans les études bibliques de manière complète, et la prédication, par conséquent des recherches dordre dhistoire religieuse, ou bien de culture religieuse et détudes bibliques particulières.
JL : Vous avez réalisé notamment une traduction de la Bible.
GP : Cest exact. Entre 1946, mon retour dAllemagne, jusque1951, jai traduit la totalité de la Bible, depuis lhébreu, le grec, le latin et qui a paru à ce moment-là sous le nom de Bible de Maredsous.
JL : Quelles intentions particulières nourrissiez-vous dans ce travail de traduction ?
GP : Lintention principale cest que la Bible soit accessible à des personnes non cultivées sur le plan supérieur. Par conséquent, lusage dun vocabulaire et dun style qui ne soient ni pédants ni scientifques.
JL : Est-ce que vous avez eu des échos, du courrier, par exemple, de lecteurs, qui étaient surpris eux-mêmes de découvrir une lecture possible de la Bible ?
GP : à lépoque, mais ça fait 1951, nous sommes en 1993. Quarante deux ans on nécrit plus après 42 ans à un auteur et à un traducteur.
JL : Je pensais à lépoque, évidemment.
GP : Oui, à lépoque. Cela a fait un peu de sensation à lépoque, surtout que lédition sétait vendue à un prix qui battait la concurrence, si vous voulez, parce que volontairement cétait une intention de mettre à la disposition le texte sacré.
JL : Georges Passelecq, jaimerais bien que lon passe par la question du vocabulaire. Je sais que vous y tenez aussi. Je sais que vous tenez à ce que lon distingue le terme démerveillement dautres synonymes ou dautres termes que lon aurait tendance à utiliser comme synonymes et auquel vous vous accordez une valeur particulière. Je sais aussi que vous mavez demandé que, si musique il y avait dans cette heure que nous partageons, elle soit une musique choisie et quelle ait un rapport avec lémerveillement. Puis-je vous demander de présenter cette musique que vous avez choisi de nous faire écouter en tout début démission ?
GP : Ce nest pas un choix de priorité musicale ou desthétique particulière. Jai choisi une phrase ou plutôt le thème majeur de lAdagio du Concerto numéro 2 de Rachmaninoff, étant donné quil est intériorisé, quil est discret. Cest la seule raison. Et jai parlé aussi de musique en disant que je naimerais pas que la conversation soit interrompue parce que je ne vois pas le rapport entre une philosophie du thème que vous mavez présenté, cest-à-direlémerveillement, avec des musique particulières. Cest un autre sujet, cela peut faire lobjet dune autre séance. Mais alors on choisirait chaque fois un thème musical approprié à ce que lon discute.
MUSIQUE
JL : Nous sommes ensemble (...) pour tenter de cerner une notion bien particulière qui est celle de lémerveillement. Lémerveillement, cest un mot que lon pourrait prendre pour une sensation, pour une émotion intellectuelle, pour une émotion esthétique. Et pour vous, Georges Passelecq, lémerveillement se distingue de certains de ces synonymes apparents. Pourquoi ? à quoi vous fait penser ce thème de lémerveillement ?
GP : Nous nous lançons maintenant dans ce quon pourrait appeler une discussion philosophique, un dialogue. Je vais dailleurs vous faire une petite réflexion psychologique immédiate pour me justifier. Je suis effarouché. Effarouché et intimidé. Autant jaimerais ou jaime discuter avec quelquun face à face un problème, des problèmes, même des choses délicates ou intimes, autant je suis rétif par tempérament aux enregistrements parce quon nest pas deux : on est trois. Et je déteste le trou. Le trou, cest lentonnoir dans lequel on est obligé de jeter sa pensée. Pour moi cest une image de lirrécupérable. Il ny a plus rien à faire et ça part sur les ondes. Alors, je suis intimidé, je préfère le dire tout de suite.
Cela dit, quand on prend le risque de discuter un sujet pareil cest-à-dire lémerveillement, on ne peut pas faire léconomie dune mise au point terminologique. Jentends : il faut que nous soyons daccord sur le sens des mots. émerveillement implique pour moi merveille et merveilleux. Et dautre part « être émerveillé » cest autre chose quêtre dans ladmiration. Parlez-moi démerveillement et je vois trotter sur lhorizon de ma plage de mémoire toute une sarabande de concepts, didées et dimages qui me font penser à ces petits bonshommes du peintre Folon que lon a vus longtemps sur lécran de la télévision en fin démissions en France. Alors, les voici : admirable, étonnant, étourdissant, extraordinaire, charmant, éblouissant, mirobolant, prodigieux, mirifique, surprise, stupéfaction, enthousiasme, ravissement, exaltation, enchantement, féerique, magique, fabuleux, fantastique, fascination, sublime. Voilà.
De même, à partir de merveille : les jardins suspendus de Babylone, les Pyramides, le Colosse de Rhodes, le Phare dAlexandrie, le Zeus de Phydias.
Et encore, maintenant, des expressions : « Pic de la Mirandole, la merveille de son siècle » , « promettre monts et merveilles », « Monsieur, cet armagnac est une véritable merveille », « Il parle français à merveille », « Alice au Pays des merveilles ». Vous voyez, cest copieux.
Jai consulté Littré. « Merveille : ce qui cause une intense admiration, qui étonne et séduit par des qualités éminentes, exceptionnelles, hors des normes de la nature »...
et Descartes : émerveillement : une surprise qui provoque la recherche permanente et qui devient un sentiment de joie devant une réalité exceptionnellement (voilà le mot) riche.
Mais alors, il importe de distinguer lémerveillement de ladmiration. Et je procède par des exemples. Jadmire un produit de lart technique : lhorloge de la cathédrale de Strasbourg. Jadmire les prouesses dun acrobate. Jadmire telle toile dun maître italien de la peinture en trompe lil. Jadmire lart de la fugue ou loffrande musicale de Jean-Sébastien Bach. Mais par contre, je reste muet de stupéfaction devant le ciel étoilé, émerveillé par les pommiers en fleurs de Vincent Van Gogh, par la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach ou par le Temple de Karnak.
La différence, cest celle quil y a entre la prose et la poésie. Cest un supplément dâme.
Cela dit, il semble que si on parle démerveillement, il faut nécessairement, présumer lexistence dun objet, dune personne, dun événement sur le/ou la-quelle il se fixe. Je propose que ce soit le monde. Lunivers peut être regardé, considéré ou contemplé selon diverses catégories parmi lesquelles je sélectionne le danger, le charme, le mystère, le merveilleux et le sublime.
Dautre part je confondrais volontiers univers et nature et dans celle-ci je distinguerais trois aspects qui forcent lattention de lhomme. Cest la puissance, la beauté et la majesté.
JL : Des notions qui ont en commun quelque chose comme un dépassement ?
GP : Oui, quelque chose qui dépasse. Je crois que nous allons y venir par la force des choses et le fil du raisonnement. Est-il question de prendre contact avec le monde, on peut ou bien lexploiter, ou bien en jouir, ou bien le craindre. Et où se situe lémerveillement ? Permettez que je raisonne le problème et jaimerais commencer par son aspect négatif. On considère trop souvent que le principal mérite de la nature est son utilité. En conséquence, lutilisation des ressources de la nature et du monde constituerait la principale raison dêtre de lactivité humaine. Cest ce que suggère la désignation anthropologique : « homo faber », cest-à-dire un animal qui fabrique des instruments, à qui lunivers apparaît comme un gigantesque étui à outils, dont la seule raison dêtre est de satisfaire à ses besoins. Si bien que, si les anciens grecs étudiaient pour savoir, si les hébreux étudiaient pour adorer, le homo faber étudie pour utiliser. Il semble alors quil ne puisse plus justifier les valeurs autrement quen fonction de lefficacité. Connaissance signifie réussite. Lhomme cherche un degré maximum de confort en échange dune dépense minimum dénergie. Dans ces conditions tout peut être réduit à des chiffres. Et alors règne sa majesté lordinateur.
JL : (riant) ....que visiblement vous appréciez !
GP : oui et non
JL : ... que vous admirez, qui ne vous émerveille pas, par contre.
GP : Que jadmire. Je ne suis pas émerveillé, justement. Lhomme a foi dans les statistiques que lordinateur produit et il déteste lidée de mystère qui bien entendu échappe à lordinateur. cest-à-dire que celui-ci est un esclave parfaitement obéissant mais inexorablement bête. Bête comme un boulet de canon. Depuis le triomphe qua provoqué linvention de lhypothèse Big Bang par les astrophysiciens lhomme simagine pouvoir bientôt expliquer le fond de tous les mystères. Naïf. Il oublie que nous sommes entourés de toutes parts par des choses que nous pouvons peut-être percevoir - et encore ! - mais en tout cas ne pas comprendre. Pourquoi ? Parce que la raison est un mystère pour elle-même. Les réalisations de lintelligence dans le domaine scientifique sont éblouissantes au point que lhomme va bientôt se croire le maître de la terre. Or il demeure aveugle aux vraies valeurs. Et malgré tout cela langoisse plane dans lhumanité, laquelle humanité ressemble à la population dune basse cour où le coq pousse le cri dalarme à lapproche de lépervier. Et ainsi lhomme a peur de lhomme. Sa propre puissance le terrifie. Notre civilisation sest montrée incapable dendiguer la marée de la cruauté et de la violence. Dans la conscience humaine, les valeurs se confondent avec les besoins. Si le monde nest quune simple occasion de puissance vers laquelle tous se ruent avec férocité, alors la seule divinité à laquelle nous puissions prétendre ne saurait être que le veau dor. Si nous tenons le monde pour une boîte à outils, la nature devient incapable de nous montrer autre chose quelle même. Car cest seulement dans la mesure où nous ressentons son mystère et sa majesté quelle nous invite à regarder au-delà delle même. Il est donc urgent que lon engage la conscience de la majesté et du sublime à retrouver sa place dans lesprit humain.
Nos écoles. Nos écoles enseignent lexploitation de la réalité sous son aspect de puissance. On y essaie parfois de développer le sens de la beauté. Mais il nexiste aucune éducation au sublime. Nous enseignons aux enfants comment on mesure et comment on pèse; et nous omettons de leur expliquer comment on admire et comment on sémerveille. Le sens du sublime, qui est le signe de la grandeur de lâme humaine, est un don ... rare, précieux, quil convient de cultiver. Sans lui, le monde reste plat et vide. Et permettez que je prenne mon exemple dans la Bible. Le thème majeur de cette poésie nest pas le charme de la nature, mais sa majesté. Et ce que cette poésie sapplique à enseigner et à célébrer cest le caractère sublime du monde.
JL : Comment est-ce quà votre avis on peut inviter un enfant - puisque vous parlez déducation au sublime, dinitiation - à votre avis par quel moyen peut-on inviter à ouvrir le bon il, à tendre la bonne oreille et à ouvrir peut être le cur aussi ?
GP Mon métier nest pas celui de pédagogue. Jai perdu contact avec la jeunesse depuis longtemps bien que jai été professeur pendant quelques années (latin et grec et français). Mais là je crois quil y a moyen de le faire et cest une longue éducation qui doit se faire sans que lenfant sen doute. Cest par lattitude du professeur, cest par lexpression de sa propre réaction à la réalité que passe le message. Ce nest pas un message quon peut exprimer dans un manuel.
JL : Vous avez sans doute une conception très noble du professeur ou de lhumain en général ?
GP : Ah oui, bien sûr. Oui, oui, oui. Cest une des plus nobles professions, dailleurs. Les grands ont été des enseignants. Bouddha a été un enseignant, Jésus Christ a été un enseignant, Confucius a été un enseignant, par exemple. Mais je reviens maintenant si vous permettez à la notion de sublime qui a été soulevée il y a quelques instants. Je la conçois comme une forme de beauté, beauté qui est et spéciale et mystérieuse et laquelle implique les notions de grandeur, dimmensité, dobscurité, de majesté, voire de menace et de danger. Devant cette beauté, on ressent une sorte de stupéfaction, deffroi, et précisément démerveillement. Cela sapplique aux produits du génie, génie humain sentend, à la conduite morale, à luvre dart tout à fait comme à la nature elle-même telle quelle est. Un auteur latin tardif, un certain Longin, considérant que lhomme a le pouvoir de répondre à ce sublime, en déduit la grandeur (cest une citation) spirituelle de lâme humaine. Et il ajoute dans la même foulée que la portée de la pénétration de lentendement humain outrepasse la dimension de lunivers ; et que lesprit de lhomme fait craquer les bornes du monde matériel. Et sil fallait citer le passage complet, il ajoute encore : « la nature ne nous pousse pas à admirer un petit ruisseau qui fait tourner une roue mais le Nil, le Danube ou le Rhin de même que le soleil et les étoiles nous étonnent et lEtna en éruption force notre admiration. » fin de citation.
Cest de bonne philosophie. Mais encore un autre, Kant, tente une définition. « Est sublime », écrit-il, « ce qui est grand au delà de toute compréhension, ce en regard de quoi tout le reste est petit - et spécifiquement les aspects de la nature dont la contemplation nous dirige précisément vers lidée de linfini ».
Mais ces définitions ne me satisfont pas. Le sublime ne soppose pas à la beauté, il ne doit pas davantage être considéré comme une catégorie exclusivement esthétique. Non. Si lexpérience de sublime peut être ressentie sous langle de la beauté, elle peut lêtre aussi dans les approches de la vérité et dans les actes de pure bonté. Et dans ces cas-là, le sublime, nous le voyons, mais nous sommes incapables de lappréhender.
JL : Il acquiert une valeur éthique, dans ce cas ?
GP : Exactement. Il est des choses qui dans leur silence font allusion à une signification qui les dépasse. Cette allusion, cet appel discret constitue, me semble-t-il, le sublime. Il est en même temps alors la justification ultime de la réalité. Il est ce que nos mots, nos concepts, nos catégories mentales natteindront jamais, que ce soit dans le domaine de lart, de la pensée ou précisément de la conduite généreuse (et nous sommes dans léthique). Il est ce dont se nourrissent les âmes des artistes, les âmes des penseurs et les âmes des saints. Cest ainsi quil nest pas nécessairement lié à lénorme et aux dimensions écrasantes. Il peut être senti à propos de lil dun insecte ou dune seule goutte deau. Un myosotis, un flocon de neige peuvent faire naître en nous le sens du merveilleux qui est précisément notre réponse au sublime.
JL : Est ce que vous pensez que le sublime est une notion accessible à tous ? Jaurais envie de dire : est-ce que léthique est dun accès démocratique ? Ou encore une fois est-ce quil faut que cela passe par un enseignement, par une initiation ; et donc, finalement, on va se retrouver avec un petit groupe dhommes qui partageront les mêmes aspirations...
GP : Non, non. Le sublime est lié à la candeur. Mais jen dirai un mot tout à lheure, à propos des enfants, si nous avons le temps. Parce que je crois que ce nest pas une catégorie intellectuelle, cest une catégorie humaine. Nous sommes dans la parole de lEvangile : « Je te bénis, père, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux savants et que tu les as révélées aux petits ». Je crois que cest la réponse à votre question.
JL : Est-ce que vous pensez que la foi participe de cet appel du sublime, de cette interpellation du sublime chez lhomme ?
GP : Oui, oui, évidemment. Indiscutablement. Et cela dit, il faut encore aller plus loin. Le sublime nest pas un aspect ultime de la réalité, cest-à-dire une qualité significative par elle-même. Il peut encore représenter quelque chose de plus grand que lui-même. Il peut être lié avec quelque chose qui le dépasse et que les yeux ne pourront jamais voir. Je dirais que le sublime nest en soi ni une chose ni une qualité. Il est un événement, une merveille, un acte, voire un drame. Car, invisiblement, ce qui paraît parfaitement naturel, tel la germination dune plante, est tout simplement merveilleux. Cest pourquoi la vraie réponse au sublime ce nest pas seulement un (...... coupure fin de cassette, au lecteur de compléter la phrase).
(...) la platitude et lindifférence au sublime, donc la grossièreté qui consiste à tenir les choses pour établies. Or, dans lunivers, il nest rien qui arrive de soi. Lhomme moderne, le pauvre, est affecté dune tendance à croire dune part que tout peut être expliqué, que la réalité est somme toute une affaire assez simple où il suffit de mettre un peu dordre pour y voir clair ; et dautre part que le monde contient en lui même sa propre explication et que toute les énigmes peuvent être résolues. Alors il ny a plus démerveillement. Au mieux il ny a plus que le simple effet de la nouveauté sur des esprits indifférents. Je parle de cette tournure desprit maintenant qui croit quon pourra tout expliquer. En tout cas je crois quelles se rencontrent plus souvent et davantage dans des ouvrages de vulgarisation, donc de deuxième classe, que parmi les uvres des vrais savants. Jentends des savants créateurs. Je crois que Newton, Pascal, Pasteur, Einstein se sont plutôt considérés comme des enfants qui en folâtrant ont ramassé quelques beaux coquillages sur la grève dun océan dincompréhensibilité. Jai dit « des enfants ». à noter aussi que, de manière générale, beaucoup de gens ne découvrent pas volontiers ni pas facilement la grandeur et le merveilleux dans les choses qui leurs sont familières. Et pourtant il y a des lois qui règlent le cours des événements naturels. Mais le fin du fin en matière démerveillement se trouve précisément dans une surprise chaque fois et perpétuellement renouvelée devant le fait que justement il existe des événements. On cite, mais je ne lai pas vérifié, Platon déclarant que cest par lémerveillement que débute la philosophie. Un peu comme lhomme qui dit : « tiens, pas possible, comment se fait-il que ? ». Cest le propre de lhomme à lesprit borné de ne pas remarquer que lexistence présente des mystères. Et cest comme ça que létonnement est le prélude obligé du connaître. Mais dans ces conditions lémerveillement ne serait-il quune simple forme détonnement ? Et je dis non. Non, parce que pour lesprit qui est inspiré lémerveillement est une forme de pensée et non pas simplement une réaction. Il persiste quand la connaissance est acquise. Dans le monde il ny a pas de réponse explicative qui puisse prendre la place de lémerveillement. Toutefois, dans le marasme de la mentalité contemporaine, le sens du merveilleux recule. Ce déclin est un symptôme alarmant. Car le bonheur ne commence quau moment où lon comprend quune vie sans émerveillement ne vaut pas la peine dêtre vécue.
En réalité cest en partie dans lémerveillement que commence la conscience du divin. Lobstacle majeur au développement de cette conscience, cest ladaptation, cest lhabitude, cest la routine à tout ce qui est conventionnel et à toute espèce de cliché. Lémerveillement implique aussi la conscience dun état dinadaptation de la personne ou de lesprit aux mots et aux notions - ce qui est la condition préalable dune prise de conscience authentique de la réalité dans son ensemble. Lémerveillement porte ainsi non seulement sur ce que nous voyons mais sur lacte même de voir ainsi que sur la personne elle-même qui sémerveille de pouvoir voir. Dailleurs lacte même de la pensée déjoue la pensée. Le mystère règne dans la perception, dans lexplication, dans le raisonnement. Et on aura beau citer le célèbre « Connais-toi toi-même » du Temple dApollon à Delphes, il ne pourra jamais expliquer la grâce qui est faite à lhomme de savoir traiter le concret par la magie de labstraction. Nous ne possédons ni lobjet de la pensée ni la pensée elle-même. Nous ne faisons que pratiquer une sorte dalchimie subtile qui associe lune et lautre. Le fait le plus incompréhensible, cest le fait même dêtre capable de comprendre. Ce qui est un comble dans létat démerveillement, cest le fait quun minimum de perception représente en lui même un maximum de lénigme. Par son émerveillement, lhomme rencontre alors le sublime dans lespace et dans le temps, dans la nature, dans lhistoire, non seulement dans lexceptionnel , mais aussi dans les lieux communs de la vie. Son être même le remplit de stupéfaction. Mais alors un piège serait à éviter : le sens du mystérieux et de la transcendance ne devrait surtout pas devenir une sorte de fourre-tout, un mol oreiller sur lequel se prélasseraient les intelligences paresseuses. Il ne doit pas se substituer à la réflexion et à lanalyse, lorsque lanalyse est possible. Il ne peut pas étouffer le doute lorsque le doute est légitime. Pourtant si lhomme prétend rester fidèle à sa dignité, il doit conserver et même entretenir présent à son esprit le sens du merveilleux cest-à-dire de ce quil y a de grand, dexcellent, de beau, de ce qui fait que la nature, un objet, une uvre, une personne, un événement peuvent enlever, ravir, transporter, et exalter lâme, lesprit et le cur. Voilà le sens du merveilleux, cest la porte qui donne accès à lineffable.
JL : à lineffable ! Jaurais tendance à dire quil faut absolument sarrêter sur ce mot là, on ne peut pas trouver plus beau mot de la fin. Puisque je ne vais pas vous demander dexplication de cet ineffable
GP : Précisément. Si ineffable il y a, cest quon ne peut pas le dire !
JL : Par contre, je voulais quand même vous demander si la notion détat de grâce était une notion quon pourrait rapprocher de certains étapes de votre raisonnement dans laccès au sublime et de louverture de lesprit et du cur humain au sublime.
GP : écoutez, je vais dabord vous dire une chose, cest que létat de grâce, ce nest pas létat de grâce théologique. Létat de grâce cest létat où quelquun a reçu quelque chose. Cest ça que jai voulu dire. Alors, létat de grâce appartient aussi à ce domaine. Cest encore de lineffable, ça ne se dit pas, justement alors il ne faut pas me demander dessayer de dire justement les choses quon ne peut plus dire, faute de mots, faute de concepts.
JL : Est-ce que vous pensez quun consensus est possible sur lineffable ?
GP : Oui. Je ne crois pas que des opinions philosophiques, ou des opinions scientifiques, ou des opinions esthétiques ou de quelque nature que ce soit, puissent entamer de genre de chose. Cest pour ça que jai finalement accepté votre proposition : cest que le thème me plaisait. Je crois quon pourrait en faire même une charnière de la pensée, précisément par létat de grâce . Dailleurs tout ce que jai dit ici nest pas entièrement de moi. Je voudrais pouvoir rendre hommage à quelquun que très peu de gens connaissent, je crois, ici. Cest un personnage tout particulier, qui est mort en 1974 ou 1975, et qui sappelle Abraham Joshua Eschel, le rabin Eschel - que jai connu à New York après avoir traduit en français une de ses uvres philosophiques. Cest un homme qui a fait sur moi une très, très grande impression et qui probablement a exercé une influence. Il se targuait dexprimer le judaïsme en termes de philosophie religieuse. Ce nest pas le moment ici de décrire toutes ses idées mais lémerveillement est aussi une des charnières de sa propre pensée pour laccès au divin. Je ne sais pas si je serais daccord de manière définitive sur la certitude que lémerveillement amène à la notion du divin, mais en tout cas je ne vois pas de manière délever lesprit de lhomme à un tel niveau que de passer par ce genre dadmiration, de candeur - chez un homme qui avait à ce moment-là certainement 75 ans - devant les choses. Pour lui tout parlait . Je ne dirais pas que cela ressemble au roman pseudo-classique dEdouard Estonnier dil y a environ 65 ou 70 ans, qui était intitulé »Les choses parlent », mais ce nest tout de même pas tellement éloigné. Si les choses parlent, cest quelles ont quelque chose à dire. Ce qui est à dire parfois dépasse la possibilité de parole. Cest de lui que jai hérité dune sensibilité beaucoup plus grande à la face (voilà) la face cachée des choses, qui toutes (la voix insiste) en ont une, absolument, à condition de savoir la voir.
JL : Vous parliez de candeur tout à lheure à propos de ce rabin Eschel qui vous a inspiré, qui vous a influencé dans le cheminement de votre pensée. Candeur, est-ce quil faut lentendre au sens dun regard denfant. Pour vous même, avez-vous limpression dêtre vigilant et dessayer de préserver ce regard ?
GP : Je pourrais rejoindre en même temps une conclusion à notre entretien ou même un souhait à exprimer. Cest que précisément lexemple du rabin Heschel était pour moi tel que tout parlait par ses yeux. Il avait des yeux denfant. Quand il parlait de choses comme celles-ci, son regard brillait. Par conséquent, il y a quelque chose qui sort et en même temps quelque chose qui entre. Je crois que rien ne vaut laspect de lenfant, du petit enfant qui est extasié devant une pâquerette. Justement, cette perception-là, cest la perception que nous, chrétiens, nous pouvons accepter, ou plutôt dont nous pouvons accepter l'expression par le Seigneur Jésus Christ lorsquil dit: « Vous nobtiendrez pas le Royaume si vous ne vous faites pas comme un enfant, si vous ne le regardez pas comme un enfant » cest-à-dire dans un regard dune pureté telle que rien détranger ne vient obscurcir léclat ou léblouissement.
JL : Pourtant jai limpression que la socialisation inévitable de lenfant doit très tôt entamer cette pureté originelle.
GP : à mon avis, le fin du fin de léducation consisterait justement à empêcher que lenfant ne perde cette naïveté fondamentale, la naïveté pas dans le sens justement dinfantilisme mais la candeur - je préfère le mot candeur au mot naïf du regard qui cherche les choses telles quelles sont ; en plate expression, sans chercher midi à quatorze heures.
JL : Vous vous percevez comme un être réaliste ou idéaliste, Georges Passelecq, et est-ce contradictoire ? Peut-on tout à fait assumer les deux accès intellectuels, les deux aspirations ?
GP Je me perçois comme étant un peu trop rationaliste. On me le reproche dailleurs, on a le droit, et cest peut être exact. Justement, la difficulté, cest de tâcher de maintenir en combinaison ces deux aspects qui apparaissent contradictoires : le raisonnement et la contemplation, si vous voulez.
JL : Je vous remercie, Georges Passelecq, davoir accepté de passer cette heure avec nous dans « Si on courait sur la lune ». Je vous remercie aussi de nous avoir, jespère, ouvert certains itinéraires, certains chemins à creuser encore ou à ré-écouter, à approfondir. Je vous souhaite un bon retour à labbaye de Maredsous. Décidément cest votre espace vital.
GP : Bien sûr, et je vous remercie aussi de votre invitation, de votre amabilité, en dépit de la torture du microphone (rires).