Je continue dans la foulée des deux précédents billets: comment trouver sa voie propre en nutrition? au-delà des effets de manches de chercheurs divers et variés...au-delà des "convictions" à la mode.
Je retrouve un de mes articles de 2005, extrait de mon bimestriel "Cuisine nature" qui servait alors de tremplin à brouillons, tout comme aujourd'hui VK me sert de premier jet. Le contenu de ces bimestriels est désormais répartis dans tous mes livres parus depuis lors (soit 26!), une partie étant à télécharger librement dès lors qu'ils sont épuisés en version papier.
Je voudrais remettre à l'honneur la fourchette plurielle! Je double ici l'article original.
A étudier les discours des gastronomes, ceux des sociologues de l’alimentation ou ceux des nutritionnistes, j’ai l’impresssion que chacun a choisi de monter dans son propre train. Pas de mélange ! On n’écoute que ses clones. Il est aussi rare de trouver parmi eux des penseurs à même de tenir des discours nuancés qui puissent concilier les contraires, cultiver le paradoxe et enrichir notre petit sac à dos de réflexions aussi riches qu’un Cyrulnik qui énonce avec le sourire que le comportement de l’homme est cent pour cent inné et cent pour cent acquis.
Que rencontre-t-on dans cette gare de triage ? Beaucoup d’excès (Burger, macrobiotique/vegan, paléonutrition, céto etc.). Quantité de discours automatiques, comme ceux de version officielle de la diététique. Tant d’intelligences monorails, aussi : les délices que je trouve à suivre une pensée en mouvement et latérale comme celle d’Hervé This, gastronome moléculaire, sont ternis par son apparente ignorance de tout ce qui n’est pas dans son laboratoire. J’ai même rencontré des nutri-négationnistes, pour lesquels les choix alimentaires n’ont rien à voir dans les soucis de santé (en général les psys en chambre, mais aussi des gastro-entérologistes - surprenant de leur part, n’est-il pas ?).
Pourquoi donc y a-t-il autour de l’assiette si peu d’interactions entre les « trains » de pensées, si peu d’approches multifactorielles ? Tous ces cocos semblent se passer facilement d’autrui, comme s’ils restaient éternellement liés à meuman, toute-puissante et toute-prégnante dans sa réincarnation culinaire. La cuisine serait-elle le lieu d’un orgasme émotionnel qui anesthésie les facultés mentales ? Qui aidera à nous faire accepter la pluralité des chemins de vie dans la nourriture, étant donné que la nourriture est le truchement par excellence ?
Appel aux vocations...
Mes livres pratiques sont conçus pour vous donner les bases essentielles en cuisine, quel que soit votre choix éthique ou nutriotionnel. Plus aucune technique culinaire ne devrait vous freiner dans vos élans, c’est vous qui tenez les manettes désormais en cuisine. Pour les desserts, par exemple, contrairement aux recettes si répandues, libellées « faciles » et qui consistent à cuire au microondes des petits beurre écrasés dans du beurre arômatisé, mes recettes se veulent riches en aliments ressourçants, malgré leur penchant sucré : beurre de lait cru , sucre complet ou sucanat si pas miel, épices les plus originelles, non irradiées, cuissons respectueuses de l’aliment. On peut se faire plaisir sucré, en gardant quelques propriétés nutritives des aliments.
On se connaît désormais. Est-il encore besoin ici d’insister sur le fait que, chez certains mangeurs et à certaines périodes de leur vie, les sucreries, même adaptées sans gluten ou même Nouvelle flore, même au miel,, ne sont pas de mise ? Point à la ligne. Aïe ! Aïe ? Vous êtes tentés de quitter la salle, je comprends bien. Dieu sait si je me garde, malgré la tentation de ma nature excessive, de tomber dans l’orthorexie nerveuse. Orthorexie ? Vous connaissez l’anorexia nervosa des sujets qui refusent de manger. L’orthorexia nervosa est la maladie de celui qui veut manger sain, à tout prix. Ces mangeurs, à ce stade précis de leur évolution, se contenteront de toutes les recettes salées qui sont déjà publiées dans mes autres livres. Le temps de se remettre sur pied, en tout cas. Pô d’suc’... dirait Titeuf.
Est-il seulement possible de manger sain aujourd’hui ? Est-il aussi possible d’être sûr que nos choix sont sains pour notre cas précis ? Nous nageons dans une marée toxique, élégamment nommée toxic sludge par nos amis de Greenpeace (le toxic sludge représente les boues produites par nos stations d’épuration d’eau urbaine). Cette terminologie est peut-être un tantinet exagérée... A l’heure actuelle en tout cas, le défi se résume non pas à éviter l’incontournable, mais à se prémunir de l’excès de toxiques et à développer nos capacités à les traiter.
La marée ne se limite pas aux toxiques environnementaux. Nous nageons aussi dans la confusion d’informations, aux effets de bord quasi toxiques pour un mental surmené. C’est à qui nous persuadera à force d’arguments les plus tranchants les uns que les autres qu’il faut manger sans viande, euh non, beaucoup de viande, que les légumes sont utiles en très hautes doses, ah non, les végétaux sont aussi riches en antinutriments, que le sucre est un poison, mais que finalement oui, vous avez raison, rien ne vaut un petit bout de chocolat pour le moral...
Réfractaire aux dogmes imposés et surtout non expliqués, je suis bien mal tombée dans le domaine de la nutrition. Entre les diétocrates et les gastrono-terroristes malgré eux, je suis servie ! Je suis une poor lonesome cuisinière « sans domicile fixe ». Je ne me sens ni membre de la confrérie de l’excellent Joel Robuchon, peu touchée par la gastronomie montée en obsession moralisatrice. Je ne me sens pas non plus adepte de feu Seignalet et de ses règles tout aussi normatives.
Me voilà sur le pont : « écoutez, tendres passionnés, vous avez tous les deux raison. Si on se retrouvait dans l’entre-deux du bon sens ? Si l'on rejoignait le cher Boris Cyrulnik dans son approche contradictoire du réel...».
Que chacun puisse enfin se frayer un chemin dans la jungle des diktats nutritionnels, à l'aide d'un outil acéré: son propre ressenti, sa propre expérience, sa propre négociation avec la convivialité, la famille, les amis.