Suite à mon premier billet sur le discernement des internautes
11.3.2016 Aujourd'hui je décode une vidéo reçue via Fakebook (texto, ça m'amuse depuis quelque temps de renommer ainsi ce réseau asocial): "Miguel Barthéléry, chercheur et passionné du cru !".
Je n'ai rien contre le crudivorisme en soi, rien contre le bonhomme en particulier. Mais il est si difficile pour un internaute non formé à une spécialité de savoir à qui il a affaire, quelle est la valeur du discours, que je prends le temps de transposer sur écran le contenu de ma récente conversation avec une élève.
Je donne dans ce billet des outils pour pouvoir penser ce genre de vidéos, à l'aide de mes connaissances en nutri (pourtant profanes, mais pointues) et de ma pratique du crudivorisme vers 2000. Cela me semble d'autant plus utile que le discours a l'air simple, clair, bien exposé. Les mots le sont... Le contenu?
Vu que la science est notre religion moderne, on écoute les nouveaux curés comme s'ils avaient raison sur tout, hors même leur champ d'expertise.
Assez futé de la part de chou brave de le mettre en avant comme "chercheur en médecine moléculaire". Certes, un Miguel Barthéléry a travaillé chez Novartis Institutes for BioMedical Research, Cambridge USA, il a publié deux trois trucs en équipe en 2008 2009, sans rapport avec le cru ou ce qu'il avance. Ses recherches visent l’application d’une approche protéomique à l’étude des cellules souches cancéreuses (plus spécifiquement dans le cas de cancer du cerveau).
Pourquoi écouter ce chercheur en biomédical plutôt qu'un nutritionniste vraiment bien informé, qui a parfois été confronté aux désastres des orthorexiques du cru?
La vidéo joue sur des arguments d'autorité: comme il est "chercheur", tout ce qu'il dit doit être rigoureux. En fait il a juste testé le mode frugivore cru sur lui même. C'est donc une simple vidéo de témoignage.
Si j'étais encore aussi active en 2000, je contacterais une amie journaliste ou je ferais moi même plus de recherches sur son CV. J'ai trouvé des photos de ses collègues chez Novartis, mais aucune de Barthéléry. Qui me garantit qu'il est bien le chercheur qu'il prétend être?
De chou brave TV. Pour ce que j'en connais, ce sont des blogueuses crudivores. "TV" ne veut pas dire qu'on y retrouve des journalistes professionnels, qui auraient coupé/recoupé leurs sources. Elles sont, en gros, ma voisine passionnée.
Mon interlocutrice: "eh ben, tu as fait suivre une vidéo d'une autre chercheuse, comment savoir si son discours vaut mieux que celui-ci?"
A qui je réponds par mail: Mais en jugeant l'éditeur de la vidéo, tiens! Les Ted talks sont tout ce qu'il y a de professionnel. Il suffit aussi de suivre Herculano, la chercheuse en question, ne fut-ce que quelques minutes pour être emmené sur un tapis volant par cette intelligence en mouvement, une intelligence drillée par des années de recherche.
Dès les premières minutes de la vidéo, j'ai eu un souci avec la rigueur de ce chercheur, qui ne semble pas celle d'un scientifique.
Primo, juger du devenir de nutriments dans le corps humain à partir d'une observation dans une boîte de Pétri est une réaction un peu simplette. Dès qu'on a un peu de métier, on prend du recul, car on sait que le corps humain est une subtile mécanique biochimique et électrique. J'ai un article entier sur le sujet, mais ah! où le retrouver?
Secundo, à moins d'avoir un cancer dans le tube digestif (notre peau intérieure), ce ne sont pas des protéines animales qui le nourriraient, mais bien des acides aminés, car il faut envisager le "processing" interne. Dès que la digestion est effectuée au travers de la muqueuse intestinale, les aliments sont décomposés en nutriments et circulent dans le sang. A ce stade, les acides aminés sont quasi similaires, qu'ils proviennent de l'animal ou du végétal: valine lysine leucine, etc. Disons que ce sont des molécules simples alors que l'aliment était un amas de molécules. Confondre des protéines avec des acides aminés? Pas un nutritionniste ne tombe dans le panneau.
Je pense à cette conférencière entendue au début de mon périple en nutrition. Elle nous annonçait très sérieusement que le beurre... évidemment... durcirait dans nos artères, "vous avez bien vu comment il se présente, non?" Mais chère madame, mon corps n'est pas aussi froid qu'un frigo, et surtout mon organisme gère des acides gras, et non des graisses! Il reçoit des lettres, si l'on veut, pas des phrases entières.
C'est un sérieux amalgame, que font les profanes en général, pas les spécialistes.
Que le cancer soit nourri par le glucose, c'est désormais reconnu, on l'utilise d'ailleurs comme agent de contraste lors de PET scans: on injecte une forme de glucose et on repère les tumeurs, puisqu'elles ont besoin de bien plus de glucose que les cellules normales (voir par exemple dans Nature Medecine ). Depuis quelques années, il y a d'ailleurs des recherches passionnantes sur la privation de glucose lors de chimios (par diète cétogénique ou jeûne). A suivre, long débat que je me propose de suivre plus attentivement si j'ai une rechute.
Ce sont des postulats poétiques.
Rappel: "un postulat est un principe non démontré qu'on utilise dans la construction d'une théorie (mathématique, au départ)". A ma période crudivore, j'ai beaucoup utilisé le principe des postulats car, au début, je ressentais un tel bien-être que je cherchais des justifications théoriques.
Ce postulat spécifique n'a pas été démontré, en tout cas à ma connaissance. En nutrition des obèses en particulier, on étudie beaucoup le circuit de la récompense, dans l'espoir d'arriver à jouer sur les ressorts qui les font manger trop. Le postulat spécifique de MB serait-il fondé par des études? Pas à ma connaissance. Si un des férus qui lit ce blog a des liens, je suis amateur. Vous savez comment me joindre.
Drole d'affirmation. Il ne faut pas être féru de nutri pour prendre un moment et se dire: mais qui est ce gars pour énoncer de telles contrevérités?
C'est aussi un postulat poétique, que je connaissais dans ma période crudivore et que j'ai propagé, honte sur moi.
Je n'ai plus fait de contre-recherches depuis 2005, mais à cette époque je n'avais pas trouvé d'études sérieuses qui auraient comparé les antioxydants cuits aux crus; la très sérieuse équipe des crudivores de "Beyond Vegetarism" non plus.
En revanche, il est facile de trouver des études scientifiques qui évaluent les pertes en précieux nutriments à la cuisson (depuis le microondes jusqu'à la vapeur). En cuisson vapeur, le brocoli ne perd que 10% de certaines vitamines, ne perd aucun de ses minéraux et gagne en digestibilité.
Pour info, la transcription exacte de son discours sous forme de "postulat pur": « Le cru serait mieux parce qu’il apporte tous les nutriments dont on a besoin » C’est quelque chose pour un biochimiste qui a un écho retentissant parce que vous allez voir à la TV souvent on va vous dire « le brocoli c’est un formidable anticancer » Oui oui…c’est un anticancer, en effet, mais il faut le manger cru. Si vous le mangez cuit y a plus rien, ou très peu. C’est négligeable. Le brocoli ne va pas empêcher votre cancer. Le brocoli faut qu’il soit cru. Toutes les propriétés qu’on accorde à ces plantes, comestibles, d’un point de vue prévention, au niveau de la nutrition, pareil, faut que ça soit cru."
Ce discours paraît logique pour la première partie (absorption des riches calories), mais n'a pas de raison d'être dans le contexte du cru, où précisément les pratiquants manquent de carburant en général. Je ne vois pas la logique, ni le fondement scientifique (je n'ai jamais lu d'étude là dessus). La deuxième partie est correcte (le traitement des fibres par le tube digestif affaibli des Occidentaux leur fait perdre beaucoup des propriétés des aliments), les études ont été effectuées et donnent ces valeurs en effet. C'est contreproductif pour ses conseils de prévention, dans la mesure où s'il conseille bien 1 litre de jus de légumes frais (à l'extracteur en général pour les crudis) et une purée de fruits, il crève les plafonds de doses de végétaux. Mais oui, les bons amis, on peut manger trop de légumes! 1 litre de jus vaut bien plus qu'un kilo...
Transcription: "Alors quand on fait des jus, on se dit chouette au moins je pourrai avoir cet accès là, je pourrai avoir accès à cette nutrition, parce que je vais obtenir le meilleur de la plante, comment dirais-je, dans sa forme la plus complète finalement. Sans avoir à me battre entre guillemets avec les fibres.
Alors je fais un petit apparté au niveau des jus de légumes : les fibres c’est vrai que c’est très important. Quand on fait des jus de légumes, on enlève les fibres des légumes. C’est là que c’est très important. Ceci dit, les fibres sont très importantes pour ce qui apporte beaucoup de calories. Là je parle par exemple des fruits, des racines, des tubercules, ce genre de chose. Il faut qu’on aie les fibres avec ces aliments parce qu’ils apportent beaucoup de calories et pour tempérer l’absorption de ces calories il faut des fibres. Les fibres se comportent comme des éponges. ce sont des éponges qui vont adsorber (on parle d’adsorbtion) les nutriments. Donc nous quand on digère on va être en compétition avec les fibres pour extraire la nutrition. Systématiquement, on est en compétition. Donc il faut avoir déjà un système digestif bien rôdé pour pouvoir extraire le maximum de nutrition d’un produit. L’exemple que je donne souvent c’est par exemple quand on mange une carotte, ça va nous mettre 3 à 5h à la digérer. Ce qui est relativement rapide. Un individu moyen va réussir à extraire 17 à 20% de la nutrition de cette carotte. C’est une mesure qu’on peut faire. On mesure la carotène, on mesure la vitamine C et on se rend compte du taux d’absorption de nutriments. Quand on fait un jus de carottes, ce jus de carottes il va quitter l’estomac… et je parle bien de quand on enlève les fibres de la carotte, ce jus-là va quitter l’estomac en 15/20min. C’est prédigéré entre guillemets. Et on va avoir pratiquement 70% de la nutrition de cette carotte. On n’a pas du tout accès à la même nutrition quand on boit un jus de légumes que quand on le mange.
Alors, c’est complémentaire tout ça. Jusque là, comme je faisais mon jus de légumes je me disais : « super, je bois mon litre de jus de légumes par jour ». Sachant qu’on absorbe à peu près un peu plus de 2litres, 2litres et demi de nourriture par jour, bon bein, 50% de mon apport alimentaire est représenté par des légumes crus.
Ceci dit, ça ne suffisait pas. Je me disais qu’il fallait que j’essaye d’arriver vers le cru. Je pense que ce qui m’a permis de faire le pas malgré tout ce que j’avais expérimenté physiquement, il fallait que je comprenne l’importtance d’aller vers encore plus de cru dans mon alimentation. Et surtout il fallait que j’arrive à vaincre ma peur de manquer d’énergie. Parce que c’était vraiment ça. Comme je faisais du sport je me disais si j’arrête de manger des pâtes, du riz, etc, je vais jamais y arriver. Je me suis rendu compte, grâce à des stages d’alimentation vivante, que je pouvais complètement substituer ma source d’énergie qu’étaient les féculents, je pouvais le substituer par des fruits tout simplement, variés, fruits doux et acides. Je pouvais substituer à ce que je mangeais avant pour obtenir de l’énergie".
-- Diabète
Je me permets un jugement de valeur sur la teneur du discours, hors objectivité cette fois-ci. En fin de vidéo, on pourrait comprendre qu'un diabétique de type 2 peut arrêter les médicaments pour évaluer l'effet des fruits crus sur sa glycémie. C'est assez irresponsable comme suggestion. Ne fut-ce que pour ce dérapage, je ne relayerais pas la vidéo, alors que j'ai été une des premières à promouvoir les jus frais via les extracteurs, dès 2005.
Son expérience: super, il doit être un des très rares frugivores. Good for him. Pourvou qué ça doure... mais je ne voudrais pas que mes copines s'inspirent de sa pratique pour se lancer dans une révolution alimentaire mal ciblée.
Explication, éclairée par mon approche de "biochimie individuelle", doublée de mon expérience de crudiste repentie.
C'est un homme jeune, pas une femme fragilisée par les tourbillons hormonaux. Sportif, en outre, ce qui permet tous les excès. Entre parenthèses, j'ai toujours un petit jiminy cricket qui s'éveille en moi quand j'entends que quelqu'un (comme lui) fait 8 à 10km de jogging par jour. Que d'excès! Pour quelles raisons? Ou ai-je mal entendu?
Dans ses excès: 1 litre de jus de légumes, surtout verts, par jour - ce qui représente plus de 4 kilos de légumes et fruits si l'on sait à quel point les jus à l'extracteur magnifient l'apport du végétal (voir passage sur les fibres) ...
Qui trop enlace rate le train! On peut jouer à une petite cure hyperdrainante de cinq jours à ces doses, mais consommer autant chaque jour va déséquilibrer la formule sanguine en minéraux. Minéraux qui jouent une subtile symphonie avec tout le métabolisme, dont les hormones. On ne les chamboule pas impunément. Je ne peux pas faire un cours de nutri dans un simple billet, mais ce sont les bases de la physiologie. Aimez-vous avec des jus frais, mais en modération! 1 grand verre par jour est une bénédiction...
Je peux entendre que le frugivorisme cru lui réussit, si c'est vrai qu'il le pratique ainsi. Ce choix réussit à une personne pour cent, pourquoi ne serait-il pas un de ces mangeurs?
Mes diverses déductions:
Ceci dit, il pratique ça (s'il le fait vraiment) depuis quand? En général, après quelques mois, les crudistes sont décharnés - perte de muscles, perte d'os et de dents, surtout en vegan.
Faire le tour des crudistes purs et durs: ils sont généralement faméliques. Normal, car à mon expérience manger cru équivaut à jeûner. C'est pour moi une anorexie qui mâche, quoi.
Dès que l'on sait cela, on entend avec le sourire les discours miraculeux: "depuis que je mange cru, mes règles ne sont plus douloureuses, je n'ai plus mal au dos, je dors mieux"... Eh oui! Les mêmes effets que le jeûne...
Effets qu'on aurait d'ailleurs, un peu plus lentement, avec une simple réforme alimentaire hors malbouffe. Mais je peux comprendre ceux qui veulent tout, tout de suite et qui préfèrent les autoroutes aux petits chemins de campagne individualisés.
Le chercheur affirme qu' "on mange beaucoup moins en cru". Qui a jamais fait des stages en alimentation vive ou qui a jamais vécu avec des crudis comme moi sait qu'à l'inverse ils mangent tout le temps... Normal, leur organisme est dans cette forme de jeûne; le corps n'en peut plus. En jeûne, on a généralement une motivation spirituelle qui fait tenir la distance. En crudisme, non.
Si vraiment il mange beaucoup moins, cela me confirmerait qu'il est un cueilleur, catégorie de mangeurs qui de toute façon on peu d'appétit et qui sont rassasiés avec trois feuilles de laitue et deux fruits.
Ses conseils de nutrition préventive : ajouter au quotidien 1l de jus de légumes par jour, surtout verts et une purée de fruits au petit dej, ce qui représente 80/90% du travail de réforme; ne valent QUE pour les hommes jeunes, sportifs en bonne santé, au système digestif performant, de profil terre ou feu (pas aérien comme tant de pratiquants du cru, voyez les papesses en vidéo) et cueilleurs. Cela en fait des contraintes, n'est-ce pas? Pour tous les autres individus, c'est une cure de 10 à 15 jours.
Parenthèse pour les curieux, tant qu'à faire la transcription, ma collègue a noté le minutage: 16’50’’ brocoli - 22min fibres - 24min : nutrition préventive - 25min39 impact sur effort physique - 28min : perte de poids en mangeant fruits à volonté - 28min30 : remarques sur diabètiques + importance de l’expérience sur la théorie.
Si vous voulez faire votre devoir ce soir ("devoir" dans tous les sens du terme), faites des recherches plus pointues qu'écouter un copain raconter à quel point il va mieux depuis qu'il a peint sa maison en bleu. Il s'agit de vos tripes, pas d'une nouvelle robe, enfin! C'est essentiel... Mon livre sur le végétarisme équilibré et le cru ne paraîtra que dans quelques mois. En attendant, faites un tour chez mon camarade Chet Day, aussi repenti du cru vegan, aussi pointu en nutri que moi et aussi logique et rationnel dans sa pensée: il veut comprendre et raisonner ce qu'on lui expose. Voir en particulier les nombreux articles sur le veganisme.
Barthéléry est peut être chercheur (à voir), il est certainement passionné par le cru, mais ce n'est pas une vidéo expliquant la science derrière le cru.
Au plan scientifique le discours n'a strictement rien d'informatif: quasi que des postulats, généralement poétiques (càd qu'on a envie d'entendre ça); il prend des vérités et il les tord pour que ça colle avec son vécu.
Vidéo très utile pour motiver un apprenti crudivore, public auquel je ne m'adresse pas. Pour en avoir été, je sais qu'il s'agit d'une quête quasi-mystique, non accessible au rationnel. Les arguments que je viens de déployer ne s'adressent pas aux crudis, mais aux praticiens et parents qui doivent récupérer un crudivore quand il est cuit (ça me fait toujours sourire, je ne m'en lasse pas...). Ils sauront ainsi de quoi s'est nourrie la passion de leur proche ou patient. Ils auront peut-être de quoi le raisonner s'il faut le sortir de cette passe excessive.